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Vivre le deuil pendant la pandémie de COVID-19 : discussion avec Jacqueline Brown, psychologue scolaire

Dans le dernier épisode du balado « Les voix de l’IB », Jacqueline Brown, titulaire d’un doctorat, psychologue scolaire, professeure agrégée de psychologie à l’Université du Montana et directrice du GRAY Research Lab, un laboratoire de recherche sur le deuil et la résilience chez les jeunes, parle du deuil vécu pendant la pandémie de COVID-19. Elle donne aussi des conseils pour surmonter personnellement le deuil et pour accompagner ceux qui le vivent.

Vous pouvez écouter cet épisode en vous abonnant au balado « Les voix de l’IB » Apple Podcasts, Google Podcasts, Spotify ou Stitcher.

Écoutez l’entretien dans son intégralité dans le balado IB Voices (en anglais)

En quoi vivre un deuil dans un contexte de distanciation sociale peut-il être particulier ?

Jacqueline Brown : D’abord, ce qui est particulier, c’est le choc lié au décès inattendu d’une personne. Si le deuil est en soi une épreuve, il est souvent encore plus difficile d’accepter la mort quand on ne s’y attend pas. Il se peut que certaines personnes éprouvent fortement le besoin de se demander si elles auraient pu faire quelque chose pour éviter le décès. D’autres peuvent ressentir la culpabilité du survivant.

Il peut également arriver que les personnes qui vivent un deuil éprouvent en même temps d’autres souffrances, comme celles qui sont liées à la perte d’un emploi ou à la disparition temporaire des revenus. Peut-être, aussi, sont-elles accablées par l’impossibilité de rencontrer en personne des représentants des services sociaux essentiels, en dehors de leur domicile. Ou peut-être regrettent-elles simplement la vie d’avant la pandémie de COVID-19. Quand quelqu’un meurt, les gens pleurent la perte du lien qu’ils avaient avec cette personne et le temps passé ensemble. Il est donc important de prendre en compte la complexité des différents types de deuils, outre la perte d’un être cher.

Par ailleurs, les gens n’ont pas toujours la possibilité de discuter avec des personnes qui pourraient les aider à rationaliser ce qu’ils vivent, par exemple en participant à des groupes de parole, au sein des hôpitaux ou des lieux de culte, qui aident à soulager l’anxiété. De plus, actuellement, il est très difficile d’organiser des funérailles et d’y assister. Cela peut potentiellement aggraver la peine et la souffrance, surtout si vous vivez loin de la personne décédée. Il est également possible qu’une personne se sente coupable de ne pas pouvoir se rendre à l’enterrement ou faire le deuil d’un être cher de façon collective, surtout si une telle célébration aurait été importante pour la personne décédée.

Une dernière dimension à prendre en compte est que certaines personnes peuvent ne pas vouloir faire leur deuil tout de suite. Peut-être repoussent-elles ce moment, car elles ont d’autres responsabilités ou d’autres préoccupations, comme télétravailler, gérer l’école à la maison ou veiller à la santé de tous les membres de leur famille. Alors elles ont peut-être décidé de remettre leur travail de deuil à plus tard. De manière générale, il est préférable de faire un travail sur sa peine sans la repousser, mais ce n’est pas toujours possible compte tenu des circonstances actuelles.

Ce sont autant de considérations importantes qu’il faut garder à l’esprit.

« People may not be able to connect with others that would help normalize what they are going through due to physical distancing »

Si une personne se sent prête et en confiance pour commencer son travail de deuil, comment doit-elle s’y prendre en cette période de quarantaine ou de confinement obligatoire ?

Jacqueline Brown : Dans le cadre de la communauté de l’IB, parlons tout d’abord des parents et des accompagnants. Il arrive souvent que les parents veuillent cacher leurs émotions à leurs enfants, parce qu’ils ne veulent pas les perturber ni les voir souffrir. Je pense néanmoins qu’il est important de leur montrer comment faire ce travail de deuil. Pour cela, il y a des livres qui peuvent aider les enfants à gérer leurs émotions et à comprendre que les sentiments qu’ils éprouvent sont normaux. Les parents peuvent poser des questions à leurs enfants sur la façon dont ils peuvent s’identifier aux personnages du livre, et ils peuvent aussi parler de leurs propres expériences.

Je recommande généralement quatre livres pour aborder le deuil avec les enfants :

  • Tear Soup, de Chuck DeKlyen et Pat Schwiebert ;
  • I Remember Miss Perry de Pat Brisson (au sujet de la mort d’une enseignante) ;
  • Le secret de Térabithia de Katherine Paterson (au sujet de la mort d’une amie) ;
  • The Memory String de Eve Bunting (au sujet de la mort d’une mère).

Il existe aussi de nombreux livres utiles pour les adultes. L’avantage de la lecture, c’est que vous pouvez commencer à lire tout de suite en restant chez vous.

Voici les quatre livres que je recommande pour les adultes :

  • Apprendre la mort de C. S. Lewis ;
  • Bearing the Unbearable: Love, Loss, and the Heartbreaking Path of Grief de Joanne Cacciatore ;
  • Permission to Mourn: A New Way to Do Grief de Tom Zuba ;
  • Transforming Traumatic Grief de Courtney Armstrong.

De plus, il est important de s’autoriser à faire son deuil et d’essayer de prendre un peu de temps chaque jour, ou de manière régulière, pour prendre soin de soi, ou simplement pour se souvenir de cet être cher que l’on a perdu. Vous pouvez par exemple en discuter avec quelqu’un, écrire vos pensées dans un journal ou vous impliquer dans votre propre bien-être.

Et même si ça vous semble être trop, ce n’est pas grave. La mort d’une personne peut avoir des conséquences durables sur la santé physique et mentale de ceux qui en étaient proches. Il est donc compréhensible que certains aient besoin de repousser le deuil temporairement. Mais, à terme, il est très important de prendre soin de soi et de trouver des façons de comprendre sa peine. Et, si possible, il peut être utile de demander de l’aide à un conseiller ou à un psychologue. Étant donné les circonstances, ce n’est peut-être pas envisageable, mais la télémédecine se développe de plus en plus.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent sortir de chez eux et apporter leur soutien en cette période difficile ?

Jacqueline Brown : Tout d’abord, je leur conseillerais de tendre la main à la personne endeuillée. Les gens disent souvent des choses comme « Dis-moi si tu as besoin d’aide » ou « Je suis là pour t’aider si tu as besoin de moi ». Mais ce que les gens ne comprennent pas toujours, c’est que lorsque quelqu’un est en deuil, il est épuisé. Cette personne n’a pas forcément le temps de penser à demander de l’aide, même si elle en a besoin. Il est donc très important de lui tendre la main, ne serait-ce que pour lui dire que vous êtes disponible pour l’écouter et lui apporter votre soutien. Et continuez de la contacter si elle montre de l’intérêt et qu’elle vous est reconnaissante pour votre soutien. N’attendez pas qu’elle vous dise qu’elle a besoin d’aide.

Et quand vous contactez la personne, écoutez-la. Écoutez-la vraiment. Je pense que c’est plus important que de penser qu’il faut donner des conseils, parce que souvent, avec le chagrin, les gens ont peur de ne pas dire ce qu’il faut. Écoutez-la, laissez-la parler de ses sentiments et allez dans son sens. Laissez-la raconter des anecdotes sur la personne qu’elle vient de perdre. Soyez compréhensif, même si vous voyez que la personne tourne en boucle. Son discours vous semblera peut-être parfois répétitif, mais en l’écoutant vous raconter son histoire et en partageant sa douleur, encore et encore, vous pouvez vraiment l’aider à faire son travail de deuil, à accepter et à mieux comprendre ses sentiments et ses émotions.

Et, comme je l’ai déjà dit, si elle ne demande pas de conseils, mieux vaut ne pas lui en donner et se contenter d’écouter et de la laisser exprimer ses sentiments. Votre interlocuteur peut facilement se sentir incompris, surtout si vous n’avez pas vous-même vécu la mort d’un être cher. Et même si c’est le cas, le contexte de la pandémie de COVID-19 reste particulier. Par conséquent, certains peuvent se sentir moins bien compris et avoir l’impression que les autres sont moins capables de comprendre ce qu’ils sont en train de vivre.

Et comme je le disais précédemment, il est important que les parents donnent à leurs enfants la possibilité de faire leur deuil tout en les soutenant dans cette épreuve. Je le souligne, car c’est extrêmement important mais, en tant que parent, vous devez être là pour votre enfant et prendre chaque jour un moment pour le soutenir dans son deuil. Que ce soit grâce à la lecture, en proposant une activité qui peut encourager l’enfant à parler et à exprimer ses émotions ou en passant du temps dehors, si c’est possible. Toutes ces activités peuvent être d’une grande aide.

Enfin, en ce qui concerne le soutien que les enseignants apportent aux élèves, il est très important de comprendre l’incidence du deuil sur un individu et la manière dont il peut affecter sa vie quotidienne. Lorsqu’une personne est en deuil, sa capacité de concentration est modifiée. Elle a beaucoup plus de mal à se concentrer. Elle est fatiguée, exténuée. Les enfants réagissent parfois fortement au deuil, avec des émotions intenses, ce qui peut déjà être le cas en raison de la pandémie. L’anxiété et la tristesse peuvent donc être exacerbées par cette situation. Si les enseignants travaillent à distance, je leur conseillerais d’être patients et flexibles avec les élèves, notamment pour ce qui est des devoirs. Je leur recommanderais également de prendre contact avec les élèves, de leur faire savoir qu’ils pensent à eux, qu’ils sont là pour les soutenir et les écouter.

« Really listen. I think this is more important than feeling like you need to provide advice, because often with grief, people are scared of saying the wrong thing. Just listen, let them talk through their feelings, and validate what they’re going through. « 

Zach : Merci beaucoup pour vos conseils et toutes ces informations. Vous nous êtes d’une grande aide. Outre vos recommandations, votre expertise et vos conseils de lecture, nos lecteurs et nos auditeurs pourront-ils trouver d’autres ressources en ligne ?

Jacqueline : Oui, il existe plusieurs organisations fondées ou établies aux États-Unis que je recommande et qui peuvent être pertinentes pour le public de l’IB :

  1. Coalition to Support Grieving Students ;
  2. National Center for School Crisis and Bereavement ;
  3. The Dougy Center: The National Center for Grieving Children & Families ;
  4. Journey of Hope Grief Support Center.

Zach : Pour en savoir plus sur le travail de Jacqueline Brown au GRAY Research Lab, rendez-vous sur le site Web du College of Humanities and Sciences de l’Université du Montana.

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