Dans ce deuxième épisode de la série consacrée au matériel de soutien pédagogique du PP intitulé La petite enfance dans le cadre du Programme primaire, Sue Tee s’est entretenue avec Anne van Dam et Kathryn O’Connell (deux professionnelles de l’éducation spécialisées dans la petite enfance ayant travaillé dans des contextes locaux et mondiaux), afin d’explorer la forme que prend l’apprentissage reposant sur des concepts dans la pratique et de discuter de certains des tiraillements ressentis par les professionnels de l’éducation lorsqu’ils travaillent de manière conceptuelle avec de jeunes enfants. Découvrez ci-après le résumé de cet entretien, disponible dans son intégralité sur « Les voix de l’IB » (en anglais).
« Selon l’IB, le jeu est le principal moteur de la recherche, car il reflète la façon dont les enfants explorent, se développent, et apprennent de manière globale et authentique. Le jeu offre aux apprenants l’occasion d’apprendre grâce à une multitude d’expériences sensorielles qu’ils ne connaîtraient pas avec d’autres formes d’apprentissage. Grâce au jeu, ils s’appuient sur leur connaissance et leur compréhension existantes des concepts pour explorer le monde qui les entoure, y penser, et vérifier et élargir leurs idées à ce sujet. Se concentrer sur la compréhension conceptuelle aide les apprenants à établir des liens avec des expériences de la vie réelle, à reconnaître et à classer les constantes, et à faire des généralisations, des prévisions et des rapprochements dans leur apprentissage ainsi qu’à transposer et à appliquer leur compréhension. »
Sue Tee :
Pouvez-vous nous décrire la forme que prend l’apprentissage reposant sur des concepts dans votre contexte ? Comment les enfants expriment-ils leur compréhension conceptuelle ? Et si j’entrais dans une de vos classes, que pourrais-je y voir et y entendre ? Anne, j’aimerais que vous répondiez en premier à ces questions.
Anne van Dam :
Bien sûr. Nous concevons des modules reposant sur des concepts, qui sont consignés dans des plans de travail. Lorsque nous examinons ces documents, nous consignons aussi les pistes de recherche et les concepts émergents. Et même si nous avons sélectionné les concepts avant de commencer, nous sommes conscients que de nouvelles choses peuvent apparaître durant la recherche. Ce qui est important pour nous, c’est de consigner l’apprentissage des enfants lorsqu’ils jouent et de considérer le jeu comme une méthode de recherche et un moyen de comprendre le monde. Ce sont les interactions qu’ils ont entre eux, avec le matériel et avec les espaces d’apprentissage, qui nous permettent de reconnaître les concepts émergents.
La forme et la fonction entrent très souvent en jeu. Donc, quand nous nous réunissons, nous apportons nos documents et nous en discutons. Nous regardons nos photos, nos vidéos et nos fiches anecdotiques, puis nous échangeons sur l’apprentissage des enfants. Notre objectif est vraiment de relier les recherches des enfants à des concepts. Par exemple, nous avons un groupe d’enfants qui s’intéresse beaucoup à la façon dont les choses coulent et s’écoulent. Dehors, ce sera l’eau, et dedans, ce sera le sable, ce qui va nous amener à nous demander : Comment cela fonctionne ? Cette exploration a un aspect sensoriel, mais elle implique aussi une relation de causalité, car les enfants réfléchissent aussi à la manière dont ils peuvent manipuler l’eau qui s’écoule. Nous utilisons ensuite une carte conceptuelle pour représenter ces concepts à l’aide d’un outil en ligne appelé Miro, ce qui nous permet de visualiser les liens entre certains concepts. Cela nous aide vraiment à avoir une vue d’ensemble, et à voir comment les choses sont reliées et comment elles évoluent.
Kathryn O’Connell :
Je suis d’accord avec tout ce qu’a dit Anne. Si nous partons du principe que les enfants sont des penseurs conceptuels et qu’ils testent des concepts sur lesquels ils s’interrogent sans cesse, alors notre travail est légèrement différent de celui d’un enseignant classique. Nous sommes plutôt des guides conceptuels. En tant qu’enseignants, nous aimons transmettre. Mais si au lieu de parler, nous commençons à leur poser des questions, c’est que nous sommes sur la voie de l’approche conceptuelle. Notre objectif n’est pas uniquement de savoir comment les enfants transmettent ce qu’ils savent, mais comment ils essaient de comprendre le monde qui les entoure.
Anne van Dam :
Tout à fait. Il est important que nous développions progressivement la compréhension que les enfants ont des concepts. Et j’y vois un lien avec votre question Sue : « Si j’entrais dans une de vos classes, que pourrais-je y voir et y entendre ? » Vous entendriez des phrases comme « vous pensez à la responsabilité », « vous pensez aux rôles » ou « vous êtes en train de créer un système ». Nous avons observé que c’est en employant ce genre de langage que les enfants commencent à se l’approprier.
Kathryn O’Connell :
Si vous me permettez, Anne, j’ajouterais ceci. Je me dis souvent qu’il est important de désigner, de remarquer et d’explorer. Peu importe l’ordre dans lequel nous le faisons. Si nous sommes de véritables guides conceptuels, alors nous devons pouvoir parler des concepts que nous avons à l’esprit. Et c’est l’apprentissage imitatif qui aide les enfants à intérioriser les concepts. Cela leur permet de parler des concepts de manière plus concrète et de prendre conscience qu’ils sont des penseurs conceptuels.
Anne van Dam :
Je retrouve souvent dans la consignation cette forme d’éthique qui nous incite à faire des vérifications auprès des enfants. Par exemple, « Voilà ce que je pense de ta pensée. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? ».
« Si nous commençons à considérer l’enfant comme une personne compétente, nous aurons peut-être tendance à moins parler et à l’écouter davantage. »
Sue Tee :
Quels sont les tiraillements qu’un professionnel de l’éducation peut ressentir dans le cadre d’une recherche reposant sur des concepts ? Quel est le rôle du professionnel de l’éducation ?
Kathryn O’Connell :
La consignation, l’observation et le fait d’être des enseignants dont la pratique repose sur la recherche et les concepts exigent de nous une certaine sensibilité. Cela nécessite que nous apprenions de concert avec nos élèves, ce qui est très différent de la façon dont nous apprenions quand nous étions enfants. Cela nécessite aussi que nous cessions de juger. C’est pourquoi, quand un enseignant ressent un tiraillement et qu’il se dit « Je sais exactement ce qu’il faut faire », je lui conseille de s’arrêter. Cette démarche nécessite une ouverture d’esprit totale.
Anne van Dam :
Quand nous adoptons un programme d’études davantage centré sur l’enfant, il s’agit d’un processus bien plus difficile qu’il n’y paraît et qui requiert des compétences cognitives complexes. Je pense que tout commence par le fait de prendre conscience et d’avoir la conviction qu’un enfant est une personne compétente. Nous devons donc repenser l’image même que nous nous faisons des enfants, notre propre conception des enfants, de leurs droits et de leurs devoirs. « Est-ce que nous considérons les jeunes enfants comme des apprenants, des penseurs, des créateurs de sens ? » « Est-ce qu’à travers le jeu, nous les considérons comme des chercheurs ? »
C’est là qu’intervient la consignation, dans sa capacité à donner de la visibilité. Elle nous offre la possibilité d’abandonner une idée, de nous appuyer dessus ou de l’explorer plus en détail avec les enfants.
Dès que l’on se met à écouter, à consigner, à échanger nos points de vue avec d’autres professionnels de l’éducation et à réfléchir à la meilleure manière de soutenir ces théories, ces manifestations de curiosité, ces fascinations, il devient possible de commencer à réfléchir aux types de situations que l’on peut mettre en place pour aider les enfants à approfondir, à élargir, voire à confronter, certaines de leurs idées. En observant les enfants et en suivant le fil de leur réflexion, nous resterons davantage connectés à eux. Le processus de recherche devient alors bien plus puissant.
Enseignante, coordonnatrice, cheffe d’établissement et directrice adjointe, Anne van Dam a occupé différentes fonctions au sein de plusieurs écoles internationales en Chine, à Singapour et en Suisse. Elle rejoint l’Eton House International Pre-School en 2007, attirée par sa vision qui est de centrer l’apprentissage sur la capacité des jeunes enfants à donner du sens et à créer des liens. En août 2011, elle devient directrice adjointe de l’International School of Zug and Luzern (ISZL). Elle y soutient le développement d’une nouvelle vision partagée de l’apprentissage au cours de la petite enfance, qui met fortement l’accent sur les relations, le jeu, les espaces d’apprentissage et la consignation de l’apprentissage.
En 2015, elle retourne vivre aux Pays-Bas, où elle collabore pendant deux ans avec l’équipe chargée du développement du PP au bureau régional de l’IB, à La Haye. Elle a participé à la révision du PP, en se concentrant sur l’agentivité des apprenants, la petite enfance, la recherche et plusieurs aspects de la « communauté d’apprentissage ». Actuellement, Anne van Dam anime des ateliers pour l’IB et collabore avec des écoles internationales en tant que conseillère pédagogique indépendante. Depuis mai 2019, elle apprend aussi auprès d’enfants âgés de 4, 5 et 6 ans dans un établissement proposant le PP qui se trouve au centre-ville de La Haye, sa ville natale.
Kate O’Connell est une professionnelle de l’éducation passionnée et une apprenante permanente forte de 25 ans d’expérience dans l’enseignement et à des postes de direction. Elle a proposé ses services de consultante et travaillé dans 30 établissements, 12 pays et 4 continents. Elle a notamment enseigné à différents niveaux scolaires et a exercé des fonctions de direction en tant que coordonnatrice du PP, directrice et cheffe d’établissement. Aujourd’hui, elle enseigne à l’Australian International School Phnom Penh.
Elle est titulaire d’un diplôme de premier cycle en éducation élémentaire et d’un diplôme de deuxième cycle en programmes d’études et instruction de l’Université d’État du Michigan. Elle prépare actuellement un certificat de gestion et direction pédagogiques à la Harvard Business School et à la Harvard Graduate School of Education.
Kate O’Connell conçoit et anime des ateliers pour le Baccalauréat International et Compass Education. Elle a également proposé des formations en ligne dans le cadre du programme WIDE World de la Harvard Graduate School of Education.
Elle voue une véritable passion à l’éducation et aux enfants.
Sue Tee est responsable de programme d’études du PP pour la petite enfance et les Arts au centre mondial de l’IB à La Haye. Originaire du Royaume-Uni, elle a exercé dans plusieurs écoles internationales à Hong Kong et aux Pays-Bas en tant qu’enseignante et membre de la direction. Bien qu’elle ait travaillé dans l’enseignement primaire, son cœur appartient à la petite enfance et c’est là qu’elle a passé le plus clair de son temps. Elle y a côtoyé des professionnels de l’éducation et des enfants extraordinaires desquels et avec lesquels elle a tant appris.
Le terme « petite enfance » désigne les élèves du PP âgés de trois à six ans. Pour en savoir plus sur les stratégies de mise en œuvre du PP dans le cadre de la petite enfance et sur les résultats de ce programme, veuillez cliquer ici.
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