Laura Dortmans s’est intéressée à la façon d’utiliser les œuvres d’art et les artefacts dans l’ensemble des domaines du programme d’études pour faire émerger de nouvelles connaissances.
Le pouvoir de l’art
F-111, l’œuvre monumentale de James Rosenquist peinte en 1964, représente l’avion de combat F‑111 de l’armée de l’air américaine ou la réalisation technologique la plus mortelle jamais développée à l’époque. Ce bombardier grandiose s’étend sur toute la longueur de la peinture de 26 mètres, qui occupe les quatre murs d’une petite salle du musée d’Art moderne de New York. À la manière de publicités de magazines, des illustrations de produits de consommation ordinaires, tels que des ampoules, des spaghettis en conserve, un gâteau et un pneu, sont collées sur le thème central et autour de celui-ci, et le visage souriant et angélique d’une jolie petite fille blonde se juxtapose à une bombe atomique en train d’exploser. Vous faites face à des questions sur l’histoire, la société, la politique et la technologie présentées dans un texte visuel d’une grande puissance.
Les œuvres d’art et les artefacts sont de puissantes ressources en lien avec chaque matière scolaire. Ils peuvent être utilisés dans tous les domaines du programme d’études pour faire émerger de nouvelles connaissances en exerçant les élèves à la pensée critique et à la capacité d’interprétation visuelle : des compétences fondamentales du XXIe siècle qui ne relèvent plus uniquement des Arts. L’étude approfondie de travaux artistiques promeut la littératie, la création de connaissances et la résolution de problèmes, ainsi que des qualités importantes telles que la curiosité, l’empathie et la patience. Les objets d’art fournissent des occasions d’apprentissage authentique qui relient le contenu du programme d’études au monde dans lequel nous vivons, permettant aux élèves d’accéder à la pensée contemporaine et d’approfondir leur compréhension du monde à travers les cultures et les époques.
Investigations visuelles
À travers un processus de recherche, les investigations visuelles amènent les élèves à visualiser, à interpréter et à synthétiser les informations contenues dans un support visuel. Ils travaillent en coopération pour explorer des concepts clés et des questions en lien avec une matière ou un thème particulier à l’aide d’un vocabulaire spécifique à la matière, dans l’objectif de développer des connaissances avec les autres élèves. Dans une conversation passionnante récemment enregistrée lors de l’Aspen Ideas Festival, Leon Wieseltier, de la Brookings Institution, a déclaré : « La connaissance requiert de la recherche, de la méthode et du temps. » Ces trois facteurs se trouvent au cœur des investigations visuelles.
La première question d’une investigation invite les élèves à s’exercer au simple fait de regarder, de près et intensément.
Que remarquez-vous ? Le simple fait d’observer est essentiel à toute forme d’investigation dans n’importe quel domaine, qu’il soit scientifique, social, artistique ou autre. L’aptitude à marquer un temps d’arrêt, à regarder et à penser est une première étape fondamentale. Donnez à vos élèves deux ou trois minutes (résistez à la tentation d’intervenir trop tôt) puis commencez les discussions.
Donc, que remarquez-vous à propos de cet objet ? S’ensuit un silence embarrassant. Il faut parfois du temps pour s’y habituer. À ce stade, je trouve utile que les élèves travaillent en binômes et écrivent leurs observations sur des papillons adhésifs ou sur leur feuille s’ils travaillent sur un support imprimé. Pendant cet exercice, je les encourage à consigner toute question ou pensée initiale qui leur passe par la tête lorsqu’ils regardent l’œuvre.
Reprenons : qui aimerait partager ses observations ? À partir de là, laissez les élèves s’exprimer. Approfondissez les observations partagées, prolongez le temps de réflexion et laissez-les donner de nombreuses réponses (visez-en plus de dix). Encouragez les élèves à observer en continu l’œuvre de près et demandez-leur de fournir des preuves visuelles : « Qu’est-ce qui vous fait dire ça dans ce que vous voyez ? »
Une fois que vous avez établi ce lien visuel avec l’œuvre, orientez les discussions vers l’interprétation en introduisant un ou deux éléments d’information. Nul besoin d’être un expert pour mener une investigation visuelle : il vous suffit de faire preuve de la même curiosité que celle que vous attendez de vos élèves. De brèves recherches préliminaires pour recueillir des détails pertinents suffiront à diriger la discussion. La clé est d’intégrer des informations en petite quantité, et de les associer à deux, trois ou quatre questions ouvertes alignées sur l’objet de l’investigation.
Investigation sur F-111
Prenons F-111 de Rosenquist et réfléchissons aux questions que nous pourrions poser aux élèves pour les guider dans l’investigation visuelle.
James Rosenquist a peint cette œuvre en 1964. D’après ce que vous voyez, quels éléments pourraient nous fournir des indications sur l’époque ?
Réfléchissez aux objets que nous montre la peinture. En quoi sont-ils symboliques de problèmes et de thèmes chers à Rosenquist ?
Rosenquist a nommé cette peinture F-111 d’après l’avion du même nom, qui était développé à l’époque pour combattre durant la guerre du Viet Nam. Il s’intéressait à l’avion mais était surtout préoccupé par la puissance et les coûts financiers et en vies humaines de cette technologie. Imaginez que Rosenquist crée cette œuvre aujourd’hui, en quoi serait-elle similaire ou différente ?
Des questions essentielles
Des questions de qualité jouent un rôle central dans la réalisation d’une investigation visuelle efficace. L’objectif est de guider les élèves en décortiquant les indices visuels qu’ils ont observés dans l’œuvre ou l’objet, lesquels ne mènent pas nécessairement à la « bonne » réponse. En fait, cette recherche doit susciter davantage de questions que de réponses chez les élèves. L’objet de l’investigation n’est pas de trouver la signification unique d’une œuvre mais de comprendre que plusieurs interprétations sont possibles et peuvent être validées en s’appuyant sur des preuves visuelles.
Pour que cette investigation permette à vos élèves de développer de nouvelles idées sur un thème, un problème ou une question, il est essentiel que la conversation les amène à établir des liens avec leurs connaissances actuelles. Pour cela, vous devez leur poser des questions qui stimuleront leur réflexion latérale.
« Réfléchissez à ce que nous avons appris sur (le thème, le problème ou la question). En quoi cet objet est-il lié à ce que nous savons déjà ? »
Le but est que les élèves synthétisent la nouvelle information qu’ils ont développée à partir de l’investigation en établissant un lien avec les connaissances qu’ils ont déjà acquises, afin d’en tirer une compréhension enrichie formée de nouvelles idées et associations.
Amélioration de l’apprentissage
Utiliser des œuvres d’art ou des artefacts en classe peut vous permettre d’explorer de façon plus vaste et approfondie les concepts clés, les thèmes et les questions du cours. L’investigation visuelle améliore l’apprentissage des élèves en poussant encore plus loin leur réflexion de haut niveau. Ils examinent, établissent des liens et créent des idées, ce qui les aide à développer de nouvelles connaissances partagées par l’intermédiaire de la langue spécifique à chaque matière, qu’elle soit écrite, verbale, visuelle ou autre.
Cet article a initialement été publié en 2016 (en anglais) dans l’International Teacher Magazine. Laura Dortmans enseigne les arts visuels dans le cadre du Programme d’éducation intermédiaire et du Programme du diplôme l’IB au sein de la Canadian Academy à Kobe, au Japon. Elle est responsable en chef des beaux-arts et a cofondé le forum Creative Connections Art & Design. Vous pouvez lui écrire à l’adresse [email protected].