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Donner vie à la sensibilité internationale

Chaque établissement dans lequel j’ai travaillé avait sa propre idée de la sensibilité internationale. Cela m’a semblé normal, mais l’était-ce vraiment ?

Comment aider les élèves et les enseignants à utiliser la technique du portrait pour adopter, développer et démontrer la sensibilité internationale ?

La sensibilité internationale revêt un sens très différent pour les enseignants, les parents et les élèves dans le monde entier. Sachant cela, comment analyser la mesure dans laquelle une personne fait preuve d’une vision et d’un comportement sensibles à la réalité internationale ? Voilà le défi que l’IB et Veronica Boix Mansilla (chargée de recherche principale au Project Zero, à la Harvard Graduate School of Education, aux États-Unis) se sont attachés à relever à travers la technique du portrait.

On peut penser que le portrait est l’art de peindre ou de dépeindre une personne dans un but esthétique. Cependant, le portrait ne se limite pas forcément à cela. Ci-dessous, Veronica Boix Mansilla, également présidente du Future of Learning Institute, nous explique en quoi le fait de dresser des portraits des élèves de l’IB à l’aide de supports vidéo, visuels ou narratifs peut nous permettre de donner un véritable aperçu de la sensibilité internationale et de son interprétation à travers la communauté mondiale de l’IB.

Sophie-Marie Odum (SMO) : Pouvez-vous m’en dire plus sur votre relation avec l’IB ?

Veronica Boix Mansilla (VBM) : Cela fait 20 ans que je travaille en partenariat avec l’IB de multiples façons, toutes très inspirantes, dans le cadre de nos recherches pour le Project Zero, un centre de recherche pédagogique intégré à la Harvard Graduate School of Education. Dans les années 1990, j’ai rejoint le groupe consultatif pour le Programme d’éducation intermédiaire (PEI). J’ai participé à l’élaboration de l’approche interdisciplinaire du PEI, à la rédaction d’un document sur l’enseignement des grandes idées dans les disciplines et à la création du mémoire en étude du monde contemporain. Grâce à un partenariat formidable récemment mis en place entre l’IB et le Project Zero, les enseignants de l’IB peuvent suivre des cours en ligne du Project Zero dans le cadre de leur perfectionnement professionnel de l’IB. J’aime vraiment travailler avec des enseignants de l’IB dans le monde entier : nous partageons la conviction que nous pouvons bâtir des sociétés plus pérennes et inclusives grâce à l’éducation.

SMO : Comment avez-vous développé l’idée des portraits ?

VBM : Notre collaboration est née d’une discussion passionnante avec Jane Drake, responsable en chef de l’innovation et de l’alignement des programmes d’études de l’IB. Nous réfléchissions à des méthodes authentiques pour évaluer la sensibilité internationale. Il est relativement facile d’évaluer les compétences d’écriture ou de lecture des élèves. La sensibilité internationale est un construit plus difficile à évaluer, en particulier lorsque l’on part du principe qu’une éducation internationale solide cherche à enrichir et à élargir durablement la vision du monde qu’ont les élèves plutôt qu’à simplement leur inculquer telle ou telle compétence. Comment évaluer la personne que devient un élève ? Voilà une entreprise ambitieuse.

Cela fait un certain temps que je mûris l’idée des portraits. Elle m’est venue en travaillant avec une enseignante de la Portland Public School, un établissement public situé dans l’État du Maine, aux États-Unis. Cette enseignante avait plusieurs enfants réfugiés dans sa classe et elle ne connaissait pas leur culture. Elle s’inquiétait de sa capacité à s’adresser à l’une de ses élèves somalienne sans lui manquer de respect ou user de stéréotypes. Elle avait peur de ne pas savoir quoi lui dire si la jeune fille abordait le traumatisme d’avoir dû quitter son pays pour s’installer aux États-Unis.

J’ai invité l’enseignante à s’entretenir avec son élève. Nous nous sommes demandé si le fait de rencontrer la famille de la jeune fille l’aiderait à se faire une meilleure idée de sa véritable personnalité. J’ai été surprise de constater à quel point cet entretien avait aidé l’enseignante à se sentir plus à l’aise et mieux préparée à faire cours à cette enfant, qu’elle voyait désormais comme une personne complète, riche de son identité de réfugiée et de nouvelle arrivante, curieuse, empathique et capable de voir les complexités du monde, et visiblement en passe de développer une vision internationale de ce monde. Depuis cette expérience, avec mon équipe de chercheurs, je travaille sur les portraits, petits et grands, en tant qu’outils pour ancrer nos réflexions sur l’éducation ayant trait à la réalité des enfants auxquels nous faisons cours. Ils constituent un moyen de saisir ce je ne sais quoi intangible que nous appelons la sensibilité internationale.

La communauté de l’IB partage une vision de la sensibilité internationale qui met en avant le multilinguisme, les capacités interculturelles, l’engagement mondial et des qualités décrites dans le profil de l’apprenant de l’IB. Très souvent, les enseignants nous demandent de leur fournir des stratégies concrètes pour saisir le sens de ces qualités. À quoi ressemble la sensibilité internationale ? Comment savoir si je vais dans la bonne direction avec mes élèves ? Dans quelle mesure la sensibilité internationale varie-t-elle en fonction des cultures ? En fait, la sensibilité internationale est un construit puissant et insaisissable qui peut vouloir dire tout un éventail de choses selon les personnes.

Il est possible d’exprimer la sensibilité internationale de différentes manières. Elle peut tout aussi bien transparaître dans l’engagement empathique d’un élève à l’égard de la dignité humaine et de l’action civique que dans la passion d’un autre pour le commerce mondial et la dynamique économique. La sensibilité internationale transparaît également dans des situations, dans le sens où nous allons adopter une position plus internationale dans certaines situations (par exemple, lorsque nous choisissons l’article que nous lirons le matin dans le journal) que dans d’autres (lorsque nous parlons du dîner avec un ami). Comment cerner cela ? La pratique des portraits, que nous pouvons considérer comme une nouveauté dans le domaine de l’éducation internationale, est une approche qui nous invite à créer un tableau riche et multidimensionnel d’un élève.

SMO : Comment la pratique du portrait fonctionne-t-elle concrètement ?

VBM : Cette pratique repose sur l’idée essentielle que les portraits constituent une plateforme commune pour réfléchir ensemble à la sensibilité internationale dans différents contextes. Un portrait peut prendre la forme d’une vidéo, d’une dissertation visuelle ou d’une histoire qui capture l’identité d’un élève donné, sa vision du monde et ses expériences. Il révèle la vision personnelle de l’élève sur son identité, à savoir ses passions, ses activités, ses groupes sociaux et ses aspirations, ainsi que la vision des personnes qui le connaissent bien.

L’idée est d’inviter un groupe constitué d’enseignants, de parents ou d’élèves à étudier le portrait en question et à échanger dessus. Le groupe commencera par définir la sensibilité internationale de manière personnelle, puis étudiera le portrait à la lumière de cette définition.

Peut-être que l’aspect le plus important de cette approche est de ne pas partir du principe que nous donnerons tous le même sens à la sensibilité internationale et aurons tous des aspirations identiques pour nos élèves dans tous les contextes culturels. Au lieu de cela, le portrait nous sert de plateforme commune pour avoir des conversations enrichissantes et respectueuses de nos différences culturelles sur nos objectifs pour la jeunesse.

SMO : Quelle forme peut prendre un portrait et comment pouvons-nous l’utiliser ?

VBM : L’année dernière, lors d’une conférence mondiale de l’IB, j’ai présenté l’exemple du portrait d’Anabelle, une élève de la Washington International School aux États-Unis. Anabelle est très engagée à l’égard de l’autonomisation des femmes. La jeune fille avait décidé de consacrer sa vie à cette question. Tout en faisant preuve d’un courage exceptionnel, étant donné qu’elle a décidé de passer l’été seule au Rwanda, Anabelle reste une jeune femme normale, qui aime sortir avec ses amis. Sa personnalité n’a rien d’héroïque.

Chaque culture portera un regard différent sur un portrait comme celui d’Anabelle. Pour certaines, la décision de cette jeune femme de voyager seule est inconcevable, pour d’autres, elle constituera un solide indicateur de force et d’autonomie. Les enseignants peuvent même avoir des perspectives différentes au sein du même établissement. Dans l’établissement d’Anabelle, par exemple, la conversation nous a amenés à nous demander dans quelle mesure la sensibilité internationale était un construit du privilège. En Chine, nous avons eu une discussion complètement différente. Les enseignants trouvaient l’histoire d’Anabelle particulièrement inspirante, mais ne comprenaient pas comment une jeune femme de son âge pouvait se sentir concernée par les inégalités dans un pays aussi éloigné du sien.

Je vois plusieurs manières dont cette approche peut être utile dans les établissements et je suis sûre que nos lecteurs auront également leur idée sur la question. Par exemple, les portraits sont susceptibles de créer des communautés d’apprentissage inclusives pour les enseignants dans certains établissements. Dans d’autres, ils pourraient contribuer à la définition d’une conception commune des types de personnes que la communauté souhaite former. D’autres encore pourraient s’en servir pour développer une compréhension plus concrète des aspirations qu’ont les parents pour leurs enfants. D’autres enfin pourraient inviter les élèves à créer leur autoportrait dans le cadre d’une approche novatrice en matière de sensibilité internationale et d’expression personnelle.


En 2019, nous publierons des ressources visant à soutenir les professionnels de l’éducation de l’IB qui souhaitent exploiter l’idée des portraits et d’autres manières d’adopter, de développer, de démontrer et d’analyser la sensibilité internationale. Veronica Boix Mansilla et de nombreux professionnels de l’éducation de toute la communauté mondiale de l’IB travaillent actuellement sur l’élaboration de ces ressources.