By Pilar Quezzaire
Cela en dit long lorsque le responsable de la quatrième plus grande bibliothèque publique du monde insiste sur le fait que les technologies numériques représentent une occasion plutôt qu’une menace pour les bibliothèques. Dans un entretien accordé à Forbes Magazine, Anthony W. Marx, président de la New York Public Library, s’est attaché à dissiper les craintes de voir la disparition des bibliothèques.
Certaines personnes pensent que l’ère numérique constitue un danger mortel pour les bibliothèques. Je pense qu’il s’agit de la plus grande occasion de l’histoire des bibliothèques, et cela signifie que cette institution de grande envergure qu’affectionnent des millions de personnes traverse une période de profond renouvellement. Dans ma profession, il s’agit d’une combinaison gagnante.
En fait, les bibliothèques et les bibliothécaires ont radicalement changé, mais tout le monde ne l’a pas remarqué. Ceux qui ont la chance d’avoir accès à Internet ont la possibilité de trouver toutes sortes d’informations sur le Web. Une grande partie de la culture mondiale moderne a été convertie en bits et en octets de données, puis présentée en vue de son utilisation pour répondre à toutes les préférences. Sur ce plan, Internet est très semblable à une bibliothèque, ou du moins à un dépôt d’information : cette dernière est distribuée à l’échelle mondiale, mais accessible localement. Cependant, la présence d’Internet a occulté la bibliothèque, de sorte que beaucoup de personnes ignorent de quelle manière elle a évolué, ses particularités et pourquoi il est si important qu’elle coexiste avec Internet.
M. Marx a souligné cette distinction :
La bibliothèque est vue à tort comme un dépôt de livres. La bibliothèque est un dépôt d’information, un lieu de partage et d’accès à l’information ainsi qu’un guide pour son utilisation.
Étant conçu pour refléter les préférences plutôt que les besoins, Internet constitue sans aucun doute une immense ressource, mais il ne guide pas la créativité et la compréhension. Les algorithmes, les agents numériques et le suivi des médias sociaux filtrent et regroupent les informations à partir des recherches, mais ils ne mettent pas en évidence les informations qui nous aident à apprendre et à progresser sur le plan de la compréhension. Les humains doivent encore effectuer des recherches, analyser et au final prendre des décisions sur des questions complexes et difficiles. Sur Internet, les sources ne sont généralement pas conçues pour faciliter ces tâches. En fait, elles peuvent avoir une incidence négative sur notre jugement et entraver ce que nous faisons, selon la façon dont l’information est présentée.
Une image figée dans le passé
De nombreuses écoles du monde de l’IB ont modernisé leur bibliothèque dans le but précis de modifier la perception de leur fonction au sein de la communauté. Malgré cela, les bibliothèques et les bibliothécaires se heurtent à des problèmes en ce qui concerne la façon dont ils sont perçus, en dépit des transformations évidentes apportées à la plupart des bibliothèques. Le phénomène connu sous le nom de nostalgie des bibliothèques peut influencer les décisions en matière de ressources, de sorte que les établissements scolaires, même en ayant les meilleures intentions, peuvent sous-estimer ou mal comprendre le rôle que jouent les bibliothèques et les bibliothécaires (Hochman, 2016).
L’idée selon laquelle les bibliothèques sont des portails, matériels ou conceptuels, qui peuvent être ouverts et fermés est empreinte de nostalgie et appartient au passé. Les bibliothèques peuvent être utilisées pour faciliter la compréhension de l’information, mais elles ne la contiennent plus en totalité. Elles ne contrôlent pas ni ne limitent ce que nous pouvons apprendre. Les bibliothèques sont des espaces accueillants qui nous convient à la recherche d’information et elles offrent des services qui nous aident à la comprendre. Aucune bibliothèque du XXIe siècle n’a pour fonction principale d’agir en tant que gardienne et aucune bibliothèque n’existe uniquement en tant qu’espace physique.
Un argument plus large en faveur de la pertinence des bibliothèques repose sur les services qu’elles offrent à la communauté et sur la diversité des façons dont elles peuvent servir à promouvoir la lecture, la littératie et la participation communautaire. Les bibliothèques ne disparaissent pas pour autant lorsqu’elles sont fermées. Elles existent dans le cyberespace, les centres communautaires et les salles de classe. Elles existent dans les cabinets des médecins ou dans les librairies. Chaque fois qu’un espace ou qu’un recueil est utilisé pour la lecture et la consultation de contenu informatif, il devient, dans une certaine mesure, une bibliothèque. Chaque recueil d’information qui est répertorié ou classé peut être une bibliothèque. Lorsqu’une bibliothèque classique ferme ses portes, nous perdons un lieu d’apprentissage identifiable, ce qui est tragique et ne devrait pas se produire, et ce, peu importe les économies ou les gains d’espace. Le concept de bibliothèque peut exister et existe partout et devrait soutenir activement la communauté, indépendamment des espaces physiques.
La nostalgie des bibliothèques se répercute aussi injustement sur les bibliothécaires
Les stéréotypes associés aux tâches des bibliothécaires ont entraîné des compressions de personnel et des changements qui, à long terme, nuisent à l’apprentissage et à l’enseignement. Le stéréotype réduisant les bibliothécaires à des personnes « exagérément protectrices de leurs livres » et « toujours en train de dire aux gens de se taire » (Jennings, 2016) est présent dans les médias, malgré les preuves répandues de l’inexactitude de ces clichés. Certains établissements scolaires méconnaissent toujours l’expertise que les bibliothécaires apportent en matière d’apprentissage et d’enseignement à l’ère de l’information, présumant que les bibliothèques ne font que soutenir les programmes établis, plutôt que la recherche et le développement personnel dans la communauté.
La bibliothèque gouverne également d’autres aspects de la vie scolaire qui améliorent les expériences d’apprentissage pour tous. Il s’agit d’un espace polyvalent qui peut fournir des ressources pour la lecture, aussi bien pour le développement scolaire que le plaisir personnel. La bibliothèque peut être un espace social, un espace expérimental, ainsi qu’un espace sûr de bien des façons. Par conséquent, un réseau efficace de bibliothèques du XXIe siècle permet de dynamiser le programme d’études et l’établissement en général, en renforçant la vie et la culture scolaires dans certains domaines.
Une bibliothèque fonctionnelle fournit les informations et les orientations possibles que doivent suivre l’apprentissage et l’enseignement, et lorsqu’elle dispose de ressources suffisantes, elle guide également l’apprentissage tout au long de la vie. Proposer un programme d’études sans bibliothèque fonctionnelle équivaut à piloter un avion sans tableau de bord.
Toutes les écoles du monde de l’IB sont tenues de disposer d’une bibliothèque. La présence de bibliothécaires chevronnés rehausse considérablement leur apparence et leur fonctionnement. Les bibliothèques doivent refléter ce qu’un carrefour d’information dynamique du XXIe siècle peut et doit être et, dans le cas des écoles du monde de l’IB, elles doivent également dynamiser et soutenir pleinement le système éducatif de l’IB.
Réalités des bibliothécaires dans les écoles du monde de l’IB
L’incidence et l’influence des bibliothécaires chevronnés sur la culture scolaire sont immédiatement visibles dans les collections et les services qu’ils procurent. Les termes qu’utilise l’établissement pour décrire les littératies multiples, la recherche et le développement d’une langue seconde permettent souvent de déterminer si un bibliothécaire a fait partie intégrante de la vie et de la culture scolaires. Dans les programmes de l’IB de première qualité, les bibliothécaires sont des membres actifs des équipes de direction pédagogique des établissements ou des districts qu’ils ont pour mission de dynamiser et de soutenir.
Les circonstances externes comme les variations budgétaires, la construction de nouveaux établissements et l’introduction de nouvelles technologies ont une incidence sur ce qui est attendu des bibliothécaires. Beaucoup se retrouvent plongés dans l’incertitude quant à leur travail tandis que les établissements doivent composer avec des ressources limitées, une situation susceptible de compromettre l’apprentissage et l’enseignement. Il est possible d’atténuer de tels facteurs externes pour soutenir le travail du bibliothécaire. Ces facteurs ne devraient pas occulter ce que le bibliothécaire doit faire pour favoriser, enrichir et dynamiser l’apprentissage et l’enseignement dans les programmes de l’IB. Même avec des ressources limitées, en bénéficiant de la direction et du soutien appropriés de la part de leur établissement, les bibliothécaires peuvent mettre au point des approches exceptionnelles pour dynamiser les programmes de l’IB.
Discussions ouvertes sur les bibliothèques
Les communautés ont des idées et des besoins très différents sur la nature et le fonctionnement de leur bibliothèque. Il est très important d’avoir des discussions ouvertes à leur sujet. Ces discussions se veulent des échanges continus conçus pour susciter des idées, des plans, des questions et des mesures qui transforment la communauté scolaire. Elles se caractérisent par l’ouverture d’esprit des participants qui abordent les sujets et les questions. Les discussions ouvertes constituent l’un des moyens les plus efficaces d’explorer la façon dont les bibliothèques et les bibliothécaires peuvent répondre aux besoins et aux objectifs de la communauté.
Lorsqu’une discussion ouverte est établie, les résultats et les mesures qui en découlent deviennent pertinents pour l’ensemble de la communauté.
Pilar Quezzaire est responsable de programme d’études pour le développement du continuum des programmes de l’IB, à la Haye, aux Pays-Bas.
Référence
WOLFE, J. The 21st Century Library: A Conversation with NYPL’s Anthony Marx. Forbes Magazine. 2015. https://www.forbes.com/.
GAIMAN, N. 2013. « Neil Gaiman: Why Our Future Depends on Libraries, Reading and Daydreaming. » The Guardian. Guardian News and Media.
HOCHMAN, J. 2016. School library nostalgias. Curriculum Inquiry. 46:2, 132-147